Notre vie numérique peut–elle être écoresponsable ?

Le titre de ce billet reprend celui d’un meetup d’UP conférences auquel j’ai participé il y a quelques semaines, qui traitait de l’écoresponsabilité autour du numérique et qui m’a beaucoup marqué. J’ai jugé utile de vous en faire une restitution.

Le meetup se déroulait sous la forme d’une table ronde où 4 intervenants étaient invités à réagir aux thèmes de la journaliste. Les invités étaient :

  • Frédéric BORDAGE
    • Fondateur de GreenIT.fr (lieu de réflexion sur les enjeux du numérique durable / responsable)
  • Fabrice FLIPO
    • Philosophe des sciences et techniques, maître de conférences en développement durable à Télécom Ecole de Management
  • Adrien MONTAGUT-ROMANS
    • Cofondateur de Commown (Coopérative qui propose des produits technologiques dans une démarche écoresponsables)
  • Céline ZOUARI
    • Co-fondatrice de l’association Point de M.I.R. (association de sensibilisation au numérique responsable)

Je précise que cet article tente de restituer les idées défendues par les intervenants et mon interprétation de leurs propos ainsi que quelques compléments personnels.

Mise en bouche

Pour se mettre en jambe, 3 données sont partagées avec le public sous forme de quiz pour imaginer les ordres de grandeur associés aux usages.

  1. En terme de bande passante : Netflix, c’est 15% du trafic mondial.
  2. Dans un foyer français moyen de 4 personnes il y avait en 2012 10 appareils connectés. En 2017, c’est 25. Pour 2022 on prévoit 50 appareils connectés (p22) (merci l’internet des objets).
  3. En terme d’énergie et de CO2 produit, le streaming sur Internet c’est l’équivalent de la consommation annuelle de l’Espagne de 2018.
    Dit autrement, si Internet représentait un nouveau continent, il consommerait autant que 3 à 5 fois la France et surtout d’ici à 2025 on s’attend à ce que la consommation double ou triple.

On est dans le vertigineux et sur une vitesse de progression jamais rencontrée auparavant dans l’histoire de l’humanité.

Dans l’esprit de beaucoup de personnes le stockage de documents est l’utilisation qui consomme le plus de ressources mais les usages ont évolués et maintenant ce sont les échanges de flux qui consomment le plus (le streaming vidéo notamment). Netflix, Youtube et consors.
Des signatures électroniques militent pour ne pas imprimer les emails et nettoyer ceux qui traînent sur un serveur mais l’impact de ces actions est clairement minime comparé à de la consommation massive de vidéo (comme des gens qui écoutent de la musique sur Youtube ou qui tentent de regarder de la TV en HD dans le TGV).

Je vous partage une représentation visuelle de cela repérée dans un article de Raphaël Lemaire.

Disques de taille proportionnelle selon l'empreinte de bande passante par usage (streaming Netflix 1 h = 1 Go, 1 podcast de 30 min = 30 Mo, 1 email avec pièce jointe = 2 Mo)
Comparatif de l’empreinte e terme de bande passante selon les usages

C’est quoi le progrès ?

Fabrico FLIPO a parlé un peu d’histoire et remis en perspective notre rapport au progrès.

Le besoin de progrès, d’évolution, peut être rattaché au siècle des lumières avec l’idée que la démocratie est bonne pour les peuples et que les conditions de vie de chacun doivent être améliorées. Le développement de la technologie s’inspire de cela et tente de nous installer progressivement dans une idolâtrie de cette technologie avec le mythe qu’elle pourra tout résoudre et tout améliorer.

Historiquement, on trouve toujours des traces de critiques de la technologie. Il a été mentionné l’exemple du Luddisme en Angleterre où le peuple résistait à l’arrivée d’une technologie qui tentait de lui être imposée (le travail des tisserands était remplacé par des machines) entre 1811 et 1812 et où chaque soir, des villageois sabotaient des installations pour protester contre le changement.

C’est rarement la société elle même qui est demandeuse d’une évolution technologique. La plupart du temps, ce sont les industriels, en accord avec les pouvoirs publics qui ont intérêts à défendre cette évolution car ne l’oublions pas, le « progrès » technologique c’est une promesse de croissance et d’euros pour ceux qui la développent.

Si on prend un autre exemple, vous avez probablement à moins d’un mètre de vous un objet qui servait essentiellement à communiquer avec vos proches et qui est devenu l’extension de votre main. Ce gadget permet maintenant de vous suivre à la trace et vous faites tout et n’importe quoi avec (à part téléphoner bien entendu).

Alors comment nous impose-t-on une technologie ? En construisant une idéologie qui consiste à tuer progressivement les alternatives, vous faites en sorte d’installer petit à petit la solution que vous défendez comme seul recours. Et s’il le faut, vous employez la force. Dans l’exemple de tout à l’heure en Angleterre, l’armée a fini par être envoyée pour mater la rébellion car le pouvoir souhaitait voir le développement de cette technologie (et l’union des tisserands commencait à tourner au projet de renversement du gouvernement). Dans cette situation, il s’agissait d’1 soldat pour 3 hommes, c’était plus qu’une petite contestation et à partir du moment où le lobby a voulu imposer sa force, la technologie a finie par être adoptée.

Si je vous dis que les monnaies virtuelles sont en train de monter en puissance, comment réagissez-vous ? Besoin de la société ou volonté commerciale ? 😉

Peinture « Le salon de Mme Geoffrin » de Lemonnier qui représente les philosophes et penseurs du siècle des lumières dans le salon de Mme Geoffrin

Quel est le problème ?

Si on en revient au numérique, on pourrait se demander en quoi est-ce un problème d’avoir tous ces périphériques ? Une bonne partie de la réponse réside dans l’inconscientisation ou l’ignorance des consommateurs sur les impacts et le coût écologique de produire chaque appareil car utiliser un téléphone ne consomme pas que de l’électricité.

Avant d’avoir un téléphone ou un ordinateur portable entre les mains, il faut extraire des minerais. Il est ensuite nécessaire de les raffiner pour en extraire les matériaux. L’abondance de ces minerais s’étant écroulée, ces extractions se font la plupart du temps en détruisant le milieu naturel avoisinant (déforestation, destruction des terres agricoles…) et trop souvent en exploitant la misère humaine ou les enfants. Ces matériaux ont évidemment été déplacés à chaque étape de leur extraction jusqu’à l’assemblage, cela représente une consommation de pétrole à chaque fois.

Une fois l’assemblage terminé, l’utilisation du périphérique n’est pas neutre. Nous allons consommer du contenu (sites, images, vidéos, fichiers…). Pour parvenir jusqu’à nous, ces données sont stockées sur des serveurs qu’il faut alimenter, les données transitent par des systèmes de transmission (émetteurs, récepteurs…), qui représentent eux aussi un coût énergétique et environnemental à produire.

Vous pensez que c’est terminé ? Et bien non, au cours de sa durée de vie, vous allez recharger vos appareils, cela aussi représentera encore une fois un coût énergétique et ce, jusqu’à ce que votre appareil rende l’âme (en espérant que vous ne vous en lassiez pas avant).

Une fois hors de service, votre joujou va au mieux prendre la poussière dans un tiroir ou, au pire, finir dans une poubelle où une minorité des matériaux pourra être valorisée. Cela à cause de la complexité des mélanges et de la miniaturisation qui rend quasi impossible la séparation des ressources pour envisager un recyclage. Quand un ordinateur occupait la totalité d’une pièce, c’était plus facile d’en extraire les matériaux nobles (et il y en avait moins).

Et tout ça, c’est dans le meilleur des cas où votre périphérique n’a pas été envoyé à l’autre bout du monde dans un beau porte conteneurs consommateur de gazole pour ne pas envahir les décharges en France.

Photo d'un immense porte conteneurs MSC Isabella
Porte conteneurs MSC Isabella

Un chiffre-clé m’a marqué au cours de cette présentation, il s’agit de la durée de vie que devrait avoir un téléphone portable pour représenter un coût neutre pour la planète. Commençons doucement : sachez qu’un aspirateur devrait avoir une durée de vie de 15 ans pour représenter un coût neutre pour la planète. Un lave-linge : 44 ans . Et pour un téléphone ? 232 ans ! Alors qu’en moyenne un français va changer son téléphone tous les… 2 à 3 ans. Déprimant car on ne parle que d’un téléphone. Vous cumulez ordinateur(s), tablette(s), télévision et autres objets connectés qu’on cherche à nous vendre toujours plus et vous vous retrouvez avec une « dette écologique » catastrophique (car elle s’ajoute à tout le reste (alimentation, automobile…)).

Regardez en terme d’impact ce que représente la production d’un téléphone ou d’un ordinateur comparés à d’autres activités du quotidien :

Disques proportionnels selon l'empreinte CO2 des activités : Poids en eq CO2. 1h de vidéo / j pour 1 an = 48Kg, Fabrication d'un smartphone = 80kg, Fabrication ordi portable = 330kg, Fabrication jean = 25 kg, Paris / Lille voiture = 60kg, Vol transatlantique A/R = 3000kg
Comparatif de l’empreinte CO2 par activité

C’est nous, consommacteurs (encore et toujours) qui devons prendre conscience de nos pratiques et les faire évoluer. Les producteurs de ces services ont évidemment un rôle prépondérant à jouer pour faire évoluer tout cela. L’obsolescence programmée en est l’un des principaux problèmes (comment vendre plus de produits si leur qualité les fait durer ?) − soit dit en passant, je ne comprends pas que des marques ne profitent pas plus de ce créneau sur la qualité, il y a des consommateurs qui en sont demandeurs.

Côté logiciel je pourrais ouvrir le sujet du marché de l’attention qui pousse à utiliser toujours plus les services (et donc consommer des ressources) mais ce n’est pas le sujet du billet (lisez La civilisation du Poisson Rouge de Bruno Patino qui en parle très bien − et vous y apprendrez quelque chose sur le poisson rouge). La méconnaissance est très importante et la prise de conscience démarre doucement.

Combiné à cela, de plus en plus de voix s’élèvent dans la société pour critiquer nos rapports aux écrans et la perte de lien social qu’ils accélèrent. Si les patrons des GAFAM interdisent à leurs propres enfants d’utiliser leurs services, c’est parce qu’ils ont parfaitement conscience des produits qu’ils élaborent. Combiné à la crise écologique, profitons de ce momentum pour remettre profondément en questions nos habitudes de consommation.

Comment fonctionner différemment ?

Pour citer un des intervenants, si on prend un peu de recul, un des messages écologistes pourrait être que la technologie n’est ni au-dessus du politique ni au-dessus de tout au sein de notre société et que nous devons faire des choix sur ce que nous devrions pouvoir faire et ne pas faire pour que notre mode de vie soit soutenable.

On peut déplorer que les ingénieurs ne soient pas (encore) formés à l’écoconception, à l’écoresponsabilité, à la sobriété numérique et c’est un problème. Les développeurs que je connais sont prêts à batailler ferme lorsqu’il s’agit de défendre une option technique alors si demain ils s’approprient ces problématiques, ils pourront faire changer les lignes. Il en va même de leur responsabilité vu l’impact du secteur. (Faudra-t-il un jour un « serment d’Hippocrate » pour les développeurs / architectes web au vue des impacts de nos décisions ?)

Nous devons donc questionner nos usages en prenant conscience de ce qu’ils impliquent quitte à nous éloigner de la technologie high-tech. A-t-on besoin d’un écran 4K ou d’une qualité de flux Ultra HD pour regarder un programme ? (La 5G qui s’annonce est une aberration pour les usages qu’elle rendra possible (cela mériterait un billet à part entière). Non, nous n’avons pas besoin que les voitures soient autonomes, que les médecins opèrent à distance, ni que nos 50 appareils à la maison soient accessibles de partout).

5G : tout comprendre au réseau mobile du futur en 10 questions - Tech - Numerama

5G : tout comprendre au réseau mobile du futur en 10 questions – Tech – Numerama

En 2019, la 5G est à nos portes. Le lancement européen est fixé à 2020 et la nouvelle norme dépasse très largement le marché des smartphones. Cette FAQ vous permettra d’y voir plus clair sur le successeur de la 4G.

L’idée n’étant pas de diaboliser la technologie mais de se poser la question des usages légitimes. Internet et le web sont des inventions formidables, mais ce sont des outils. Et comme tous les outils, ce sont les usages que nous en faisons qui seront vertueux ou catastrophiques (ex : la fusion de l’atome pour produire de l’électricité ou une bombe nucléaire).

La société actuelle est basée sur le modèle majoritairement capitalistique et le besoin d’une éternelle croissance. Si la croissance disparaît, le système entre en récession et on parle de crise. Sauf que nous ne sommes pas obligés de voir les choses comme cela, on peut y voir une opportunité et on parlera alors de décroissance. Si on adhère à l’idée d’un effondrement, on peut considérer qu’un désastre devient une opportunité de réorganiser la société. Il faut alors trouver des modèles résilients pour qu’ils puissent durer. Et même si on ne croit pas à l’effondrement et que l’on se considère juste pragmatique, il faut savoir que d’ici 25 ans, au rythme de la consommation mondiale, on sera en pénurie sur les terres rares qui servent à produire tous nos terminaux (mais aussi panneaux solaires, éoliennes, voitures électriques…). Dit autrement : on ne peut pas durer comme cela. Et même si ce n’est que dans 50 ans, cela n’est pas viable sur plusieurs générations. Il est donc critique et indispensable de repenser les usages. Il faut clairement que l’on lève le pied (voire même freine des deux pieds) au vue de notre trajectoire actuelle.

Ermf, c’est la merde, non ?

Si on regarde les choses en face, plutôt, oui. Surtout vu à la vitesse à laquelle vont les choses pour changer au niveau politique. Selon votre degré d’intérêt pour le sujet, la prise de conscience est plus ou moins violente.

Il faut se le dire, notre mode de fonctionnement actuel est problématique car il n’est pas tenable. Nous devons accepter de fonctionner différemment car ce n’est pas négociable. Factuellement, nous finirons par manquer de ressources en ne changeant rien. Alors autant se convaincre de devoir changer plutôt qu’accepter de subir un changement violent et radical.

Ne culpabilisez pas de vos mauvaises habitudes si vous n’en aviez pas conscience, profitez de cette lecture pour comprendre le problème et promettez-vous de faire des efforts pour y remédier.

Si on regarde la réalité en face, il n’y a pas de réponses toutes faites qui résoudront les problèmes actuels. L’ampleur de l’effort à fournir est important et plus le temps passe plus il grandit. L’impact de nos actions de consommateurs et des habitudes à changer est limité. Ce n’est pas pour autant qu’il ne faut rien faire, même ces petites actions sont indispensables et participent à une dynamique.

Je ne veux pas ouvrir le sujet sur la théorie de l’effondrement qui serait le morceau logique à ce moment de l’histoire (peut être un jour dans un autre billet − en attendant vous pouvez lire les deux incontournables : Comment tout peut s’effondrer et Une autre fin du monde est possible de Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle).

Comment tout peut s'effondrer, Pablo Servigne, Sciences humaines - Seuil

Comment tout peut s’effondrer, Pablo Servigne, Sciences humaines – Seuil

Une autre fin du monde est possible, Pablo Servigne, Sciences humaines - Seuil

Une autre fin du monde est possible, Pablo Servigne, Sciences humaines – Seuil

Alors quelles solutions s’offrent à nous ?

Les participants du panel nous ont livré quelques clés à ramener à la maison en tant que consommateurs pour commencer à changer.

Rallonger la durée de vie

On l’a compris, pour économiser des ressources, il est critique de prolonger la durée de vie de nos appareils au maximum en retardant le moment de l’envoi au recyclage. Comment ? En commençant simplement : à quoi bon laisser allumé votre téléphone portable la nuit ? (Il risquerait de vous réveiller ;-). Éteindre voire débrancher plutôt que mettre en veille un terminal (téléphone portable, PC portable, tablette…) ou un périphérique (box, imprimante, TV…) quand vous ne vous en servez pas réduira sa consommation électrique et prolongera sa durée de vie (et vous ferez des économies). Vous pouvez aussi utiliser une multiprise programmable pour ne même pas avoir à penser à couper la box.

Réparer

Il faut privilégier le matériel qui est réparable. La problématique qui me vient à l’esprit quand on parle de réparabilité est la possibilité que j’ai en tant que consommateur de connaître, à l’avance, la facilité avec laquelle je vais pouvoir réparer un appareil avant de l’acheter. Aujourd’hui c’est quasiment impossible. Il n’existe pas de label ou de mention obligatoire sur les fiches techniques des produits technologiques. GreenIT travaille dans ce sens pour proposer un équivalent du nutriscore pour la réparabilité des produits technologiques. Cette proposition se fait dans le cadre du projet de loi anti gaspillage qui est en cours de préparation à l’assemblée.

Fort heureusement, tout n’est pas perdu ! Respecter la planète et concevoir des produits technologiques, c’est possible. Le téléphone FairPhone a été conçu dans cet esprit durable, équitable. La troisième génération est sortie en septembre 2019 et est pensée pour être réparable, responsable (et ça coûte moins cher qu’un iPhone).

Éviter le gaspillage de ressources

Comme pour les déchets, la ressource la plus simple à recycler est celle que l’on ne produit pas. Prenez l’exemple de la télévision. Toutes les TV modernes sont équipées d’un récepteur TNT pour visionner les 25 chaînes gratuites de la TNT. En parallèle, les abonnements internet sont majoritairement en triple play (téléphonie, internet, télévision). Si vous visionnez la TV par internet, vous allez donc consommer une deuxième fois des ressources pour recevoir ce que vous receviez déjà par la TNT. Privilégiez donc la TNT autant que possible !

Dans la même veine, si vous prenez le train et que vous souhaitez visionner une série ou un film, téléchargez votre contenu avant de démarrer votre voyage. Vous vous épargnerez la frustration de la vidéo qui fige au meilleur moment de l’épisode faute de réseau et éviterez de consommer de l’énergie en sollicitant tous les relais / bornes 4G de votre trajet (et parfois en double lorsque la réception sera mauvaise pour récupérer votre épisode).

Mais aussi…

L’ADEME nous donne aussi quelques conseils complémentaires comme ne pas se sur-équiper. Si on n’a pas besoin d’un objet régulièrement et qu’on a déjà des objets équivalents (exemple : un robot électroménager) alors on n’achète pas !

On ne surdimensionne pas non plus. La TV de 46″ dans la chambre n’est sûrement pas utile (voire pas utile du tout). 😉

…voire même

Si tous ces gestes sont des gouttes d’eau dans la mer, il est possible d’imaginer des alternatives plus ambitieuses. L’ordre de grandeur de ces alternatives nous obligera à accepter de passer plus de temps sur des choses qui ne sont pas des divertissements car ce sont eux qui sont en grande partie responsables de nos mauvaises habitudes. Une projection évoquée par Adrien MONTAGUT-ROMANS de Commown et qui va dans cette direction est l’idée que demain, nous pourrions vivre à plusieurs foyers dans un habitat partagé et que chaque habitat posséderait dans ses communs des terminaux (ordinateur, imprimante, téléphone…). Je trouve la projection intéressante car assez plausible (cela recréerait également du lien entre les habitants).

Professionnels : il est (plus que) temps de fonctionner différemment

Si on met en abyme les choses, la totalité du code qui a permis au système Apollo 11 d’alunir et de revenir sur Terre représente l’équivalent d’un mail comme vous en recevez des dizaines par jour (~70Ko). Depuis, la fuite en avant ne fait que s’accélérer et on cherche à résoudre les problèmes par toujours plus de technologie (high-tech) et de complexité. Nous sommes donc en train d’aggraver les problèmes du point de vue de l’impact écologique grâce à nos nouvelles « solutions ».

Pour des impacts à plus grande échelle que celle des particuliers et qui proposent une alternative réelle à moyen et long terme, il devient nécessaire que les produits et services que nous utilisons soient éco-conçus. Si on double ou triple la durée de vie des smartphones, il nous reste 220 ans d’usage à économiser, on est loin du compte. Cette aberration montre que nous devons ouvrir la porte du low-tech (en opposition au high-tech) comme pratique à imposer. Qu’est ce donc ?

Prenons un exemple d’éco-conception partagé par Frédérique Bordage. Il s’agit d’un service de consultation quotidienne des prévisions météorologiques pour un groupe de 50 agriculteurs en Afrique. Première proposition de mise en œuvre du service : on équipe chaque agriculteur d’un smartphone pour qu’il puisse consulter la prévision du jour calculée par le serveur. Ressources nécessaires : 1 serveur puissant pour les calculs, 1 téléphone pour chacun des 50 agriculteurs.
Si on cherche maintenant à réduire l’impact du dispositif on peut arriver à la proposition suivante : 1 serveur puissant pour les calculs (car il faut bien répondre à la problématique métier), 1 téléphone pour 1 personne à l’école ou la coopérative du village qui écrit chaque jour les prévisions du lendemain sur un tableau noir avec une craie.
Bilan de l’opération, on passe de 50 téléphones avec une durée de vie qui sera limitée s’ils sont utilisés directement par les agriculteurs (car l’utilisation en conditions réelles dans un champ est assez agressive pour le matériel) à 1 téléphone pour 50 personnes.
J’ajoute, que ça permet sûrement même de créer du lien entre les agriculteurs lorsqu’ils se croisent à l’école.

Cet exemple montre qu’il est possible de rendre le même service avec une autre forme de mise en œuvre, plus soutenable pour la planète.

À l’heure actuelle, chaque fournisseur ou prestataire est libre de proposer la solution qui lui chante lorsqu’il faut mettre de la tech en place. Les autorités ont donc un rôle de régulation à jouer si demain nous voulons réduire l’impact des services, usages et produits qui sont proposés aux consommateurs (avec les difficultés que cela implique). Le problème étant que l’état lui même ne joue pas le jeu en respectant ses engagements sur les accords de Paris. Il en vient donc à la responsabilité de chacun des entrepreneur(se)s et dirigant(e)s d’agir. Il serait vraiment cynique de ne rien faire car il n’est plus possible de dire que l’on ne sait pas. (Et pourtant certains le font car ils se sentent protégés).

Je terminerai (enfin) par cela : Si vous voulez vous projeter sur ce que serait un monde low-tech (du point de vue sociétal complet, pas seulement sur la technologie), je vous conseille de lire « L’âge des low tech » de Philippe Bihouix. Il y décrit dans un premier temps les faits qui démontrent que l’on use et abuse des ressources de la planète. Il présente ensuite une vision possible des choses en tentant d’avoir une démarche structurée (qui tient compte des impacts des transitions qu’il propose). Il joue même l’exercice de l’auto-critique en répondant aux interrogations naturelles que l’on soulève à la lecture de ses propositions.

L'Âge des low tech, Philippe Bihouix, Documents - Seuil

L’Âge des low tech, Philippe Bihouix, Documents – Seuil

L’Âge des low tech, Philippe Bihouix : Face aux signaux alarmants de la crise globale – croissance en berne, tensions sur l’énergie et les matières premières, effondrement de la biodiversité, dégradation et destruction des sols, changement climatique et pollution généralisée – on cherche à nous rassurer

http://www.seuil.com/ouvrage/l-age-des-low-tech-philippe-bihouix/9782021160727

Mise à jour 17/12/2019 : Merci Fred, la contestation en Angleterre s’appelle le Luddisme.
Mise à jour 09/03/2020 : Il semblerait que les datacenters aient fait des progrès sur leur empreinte énergétique et le streaming aurait aussi vu des avancées technologiques ces derniers temps (lire l’article de Libération qui déconstruit un calcul du Shift project sur l’empreinte du streaming sur Netflix)

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